On nous le répète chaque jour : l’intelligence artificielle est une révolution inéluctable. Un « progrès » qu’il serait aussi vain de vouloir arrêter qu’une marée montante. Ce fatalisme technologique est un poison. Il nous endort, nous démobilise et vise à nous faire accepter l’inacceptable. Car derrière le paravent technique se cachent de véritables choix de société, des choix politiques qui nous sont imposés sans débat.
L’IA au travail : faire d’une révolution technologique une conquête sociale
Accepter l’IA sans discuter, c’est un choix. Le choix de fermer les yeux sur le pillage de nos données personnelles pour nourrir le capitalisme de surveillance. C’est un choix, celui d’ignorer le désastre écologique des centres de données et l’exploitation néocoloniale des « travailleurs du clic » à l’autre bout du monde. C’est un choix, celui de sacrifier notre souveraineté nationale en nous livrant pieds et poings liés aux géants américains et chinois. Fiscalité du numérique, respect des droits d’auteur… Ces sujets ne sont pas techniques et inaccessibles, ils sont le cœur de la bataille à venir. Et cette bataille doit commencer ici, dans nos services, dans nos collectifs de travail, pour construire un rapport de force à la hauteur des enjeux nationaux, européens ou mondiaux.
Refuser le débat, c’est hypothéquer notre liberté. Laisser faire le «braconnage numérique», où chacun.e utilise l’IA dans son coin sans aucun cadre, est une posture intenable. Laisser les écarts se creuser entre ceux qui utilisent l’IA et ceux qui ne le souhaitent ou ne le peuvent pas n’est pas soutenable. Car pendant que certain.es y voient un gadget, la machine capitaliste, elle, se met au travail. Elle travaille à saper nos métiers. On voit déjà les plus jeunes peiner à s’insérer, car les tâches les plus accessibles sont souvent les premières à être automatisées. On voit déjà la déqualification programmée vider certaines de nos missions de leur sens et de leur technicité, alimentant le discours prônant la substitution de l’Homme par la machine. On voit déjà l’isolement de celles et ceux dont les nouveaux collègues sont des logiciels, et l’épuisement cognitif de celles et ceux que l’IA force à un rythme de réflexion et d’analyse toujours plus intense en réduisant les tâches simples permettant à notre cerveau de souffler un peu.
Alors oui, il y a une promesse de gains de productivité qui est attestée. Mais la question est simple : qu’allons-nous en faire? Est-ce que ce temps gagné servira de prétexte à des licenciements, à une nouvelle vague d’austérité pour «optimiser» la dépense publique ? Ou bien allons-nous imposer que cette nouvelle richesse, créée collectivement, soit partagée ?
C’est maintenant qu’il faut répondre à cette question ensemble. Nous refusons le chantage du MEDEF et des libéraux de tout poil, ce discours infantilisant qui nous somme de « créer la richesse avant de penser à la partager ». Cette logique n’est que le paravent de la cupidité et illustre un rapport au travail malsain ou immature. On ne se lève pas le matin pour « créer de la richesse », mais pour se donner les moyens de conduire des projets personnels, pour participer à un projet collectif qui nous permet de vivre dignement.
Ce projet, c’est à nous de le définir. La redistribution des gains n’est pas une question à voir « plus tard », elle est la condition première de notre adhésion et d’un changement de posture face à l’IA. La technologie ne doit pas être désirable uniquement pour la startup nation et les fonds d’investissement. Les experts qui vous disent d’attendre sagement en produisant avec l’IA pour réfléchir aux gains et à leur redistribution plus tard ont déjà leur plan : et dans ce plan, nous sommes sûrement perdant.es. Nous devons anticiper. Faut-il utiliser ce temps gagné pour nous former et contrer la déqualification ? Pour réduire notre temps de travail afin de supporter l’intensification des tâches ? Pour l’investir dans la transition écologique et développer des pratiques IA soutenables ?
Face au projet des géants de la tech et de leurs relais politiques, nous devons opposer le nôtre. Quelle est notre vision du travail à l’ère de l’IA ? Reprenons la main et la parole, imposons le débat, et faisons de cette révolution technologique une conquête sociale.
Pour approfondir : note de Solidaires sur l’IA au travail.
